Les chemins de fer à Ruelle

Un train arrivant d'Angoulême
Un train arrivant d'Angoulême

 

Pourquoi employer un pluriel alors que la commune n'est traversée par aucune ligne des CFD (Chemins de Fer Départementaux), ou des EC (Chemins de Fer Économiques des Charentes) ? Mais à la ligne Angoulême-Limoges qui à Ruelle sert de tronc commun à celles de Nontron et de Ribérac jusqu'au milieu du 20ème siècle, il faut ajouter le réseau privé de la Fonderie et la ligne de tramway électrique qui relie Angoulême à Ruelle. Cependant, dans ce chapitre, il ne sera pas traité du tramway électrique qui a déjà fait l'objet d'une étude (voir le chapitre "Ruelle et le tramway électrique"). 

 

Après avoir retracé une histoire rapide de la ligne La Rochelle-Limoges et du réseau ferré de la Fonderie on évoquera quelques problèmes qui ont mobilisé le conseil municipal.

 

Vers une ligne la rochelle-saintes-Angouleme-limoges

 

Ruelle participe à la construction du réseau ferré

 

Au milieu du 19ème siècle, la commune de Ruelle se trouve plongée dans l'effervescence qui accompagne la constitution du réseau ferré français. Le développement économique et corrélativement la prospérité dépendent de la construction de voies ferrées et avant tout de l'implantation d'une gare desservant la commune.  En principe l'État détermine les axes, ses services après consultation des collectivités, précisent le tracé retenu en privilégiant les trajets les plus courts et les moins coûteux. Pour les grandes lignes, selon la loi de 1845 qui supprime la participation des communes et des départements à l'achat des parcelles, l'État a en charge l'acquisition des terrains et la réalisation des infrastructures (terrassements, ponts, viaducs, tunnels…). À la compagnie concessionnaire incombe ce qui relève de la superstructure : la pose du ballast et des voies, la fourniture du matériel roulant…et à partir de 1850, l'édification des bâtiments. Mais les cahiers des charges établis avec chaque compagnie concessionnaire peuvent laisser à celle-ci certaines obligations relevant de l'État contre le versement d'une subvention.

Dès 1845, les premiers coups de pioches sont à peine donnés sur la ligne Tours-Bordeaux qu'on envisage déjà une ligne ouest-est La Rochelle-Angoulême-Limoges. Mais rien ne se passe et la question ne redevient d'actualité qu'en 1852. Des divergences apparaissent alors au sujet des tracés possibles : dans sa séance du 7 novembre 1852, le conseil municipal de Ruelle se prononce pour l'adoption d'un tracé par Ruelle en raison de l'existence de la Fonderie et pense que "le parcours par Ruelle et La Rochefoucauld offrira un plus grand nombre de voyageurs et le transport d'une plus grande quantité de marchandises que par la ligne proposée par Nontron"; en conséquence il souhaite qu'une station soit établie sur son territoire.

À nouveau le projet entre en sommeil notamment pour la partie Limoges-Angoulême. Ce n'est que le 21 mai 1857 que le conseil municipal se prononce une nouvelle fois sur l'utilité de cette voie Rochefort-Limoges par Saintes, Cognac et Angoulême. Il rappelle qu'une station serait de toute nécessité à Ruelle tant pour le transport des fabrications de la Fonderie impériale et pour son approvisionnement en combustible que par l'existence d'autres entreprises.

En 1861 une enquête amène les conseils municipaux à se prononcer sur des projets de voies ferrées dont certains seront abandonnés ultérieurement. Dans sa réunion du 10 mars 1861, le conseil de Ruelle émet les avis suivants :

- il rappelle son attachement à la voie Limoges-Rochefort par Saintes, Cognac, Jarnac, Châteauneuf, Angoulême, Ruelle, La Rochefoucauld, Chabanais, St Junien et Aixe avec embranchement à Châteauneuf pour Barbezieux

            - il considère qu'une déviation par Nontron ne rencontrerait qu'un courant commercial sans importance et sans avenir

- il ne trouve un intérêt à la ligne de Nantes à Coutras que si le tracé emprunte la vallée du Lary [1]

            - il justifie l'intérêt de la ligne de Montmoreau à Périgueux par Ribérac par les papeteries de la vallée de la Lizonne, et par le fait qu'elle relie Ribérac à son chef-lieu de département et à Angoulême

            - il repousse la ligne de Napoléon-Vendée [2] à Limoges par Ruffec car elle serait concurrente de Rochefort à Limoges

            - il demande une station à Ruelle en raison de ses activités (usine de papier, minoterie, clouterie…), des produits agricoles (céréales, vins "d'une qualité remarquable"…), des foires importantes et, principal argument, de la fonderie de la Marine.

 

En 1861, les choses se précisent à l'ouest pour la partie Rochefort-Saintes-Angoulême : le décret d'utilité publique est publié. Puis en 1862, les travaux sont mis en adjudication et la ligne est concédée à une compagnie qui vient de se constituer : la Compagnie des Charentes. Le concessionnaire, s'il en est requis, devra exécuter le prolongement jusqu'à Limoges. La ligne de Saintes qui se raccorde à celle de Paris-Bordeaux [3], aux Alliers est inaugurée le 16 octobre 1867 [4]. En juillet 1868 est choisi pour la ligne de Limoges le tracé par La Rochefoucauld, la vallée de la Vienne et Saint-Junien, et la ligne est concédée à titre définitif à la Compagnie des Charentes. Le tracé concurrent par Nontron se voit réduit, dans un premier temps, à une ligne Angoulême-Nontron [5] concédée à la même compagnie en 1870.

En juillet 1870, le conseil municipal de Ruelle donne un avis favorable au lieu choisi pour l'implantation de la gare qui doit desservir la commune, même si l'extrémité orientale de la station est située sur Magnac sur Touvre. Pour le conseil il est primordial que la gare soit dans le quartier où le commerce est le plus développé, c'est-à-dire le quartier dit du Maine Gagnaud.

 


[1] Passant à proximité de Baignes et de Barbezieux

[2] La Roche sur Yon

[3] Concédée à la Compagnie du Paris-Orléans (PO).

[4] Le tronçon La Rochelle-Rochefort, concédé plus tardivement, n'est ouvert à l'exploitation qu'à la fin de 1873.

[5] Elle se sépare de la ligne de Limoges après la gare du Quéroy et suit le Bandiat.

 

La construction de la ligne et ses incidences locales

 

Les terrains de la ligne de Limoges acquis, les travaux commencent dès 1872 dans la Haute Vienne et en 1873 dans la partie charentaise. À la déception et à l'amertume de certains expropriés qui espéraient obtenir davantage, s'ajoutent les récriminations de riverains qui ne participent pas à l'enthousiasme pour la modernité qui semblait apparaître dans les vœux du conseil municipal. Le tracé coupe certains chemins, en dévie d'autres : par exemple, l'emprise de la gare vient interrompre le vieux chemin du pont de Ruelle à Soyaux ; il faudra donc contourner par le passage à niveau de Relette. De nombreuses parcelles qui bordent la ligne ne sont accessibles que si on établit un chemin latéral à celle-ci : par exemple un chemin qui de Brebonzat à la RN 141, longe la voie par le sud (chemin devenu avenue du Quai militaire, rue des Plantiers…). Il en résulte des désagréments qui viennent perturber les habitudes quand la circulation n'est pas totalement interrompue par les travaux ou la présence des matériaux.

Ainsi, au conseil du 10 août 1873, il est noté que les travaux négligent le nivellement et l'empierrement des chemins latéraux à la ligne ; les chemins concernés sont celui des Seguins et celui du Maine Gagnaud [1] qui devra mettre en communication la route nationale 141 avec le chemin de grande communication n°23 (à Relette) ; or les chemins latéraux remplacent des chemins empierrés. De même, il est signalé que les travaux de terrassement étant en voie d'exécution, les remblais et déblais ne permettent plus aux agriculteurs le transport des récoltes et la culture des parcelles coupées en deux par la ligne.

 

Au même conseil est évoqué un point concernant l'école de garçons. Celle-ci est installée ainsi que la mairie dans un bâtiment acheté en 1854 ; la parcelle, située au Maine Gagnaud, s'étend à partir de la route de Limoges sur une profondeur d'environ cent mètres [2]. Des travaux d'agrandissement ont été décidés en 1869 et le plan a été dressé à une époque où n'était pas connu le tracé précis du chemin de fer. Or la gare est à l'extrémité du jardin de l'école et la salle de classe projetée située au 1er étage dominerait les voies ce qui ne manquerait pas de distraire l'attention des élèves. On décide donc de construire au rez-de-chaussée, mais vaut-il mieux construire sur un emplacement insuffisant ou vendre les immeubles ? Comme une majorité semblerait favorable à la vente et que la Compagnie des Charentes a acheté la parcelle contiguë pour établir l'avenue conduisant à la gare, le conseil demande l'autorisation de pratiquer des ouvertures dans les bâtiments communaux donnant sur cette nouvelle avenue, saisissant ainsi l'opportunité d'une plus-value pour ceux-ci.

En octobre 1873, le préfet transmet l'accord de la Compagnie des Charentes pour l'ouverture de portes et fenêtres dans les bâtiments et clôture de la maison d'école donnant sur la voie d'accès à la gare. La commune prendra en charge cette voie lorsque la Compagnie l'aura empierrée et mise en bon état de circulation, mais s'empresse de voter une somme de 150 francs pour réaliser immédiatement les ouvertures. En ce qui concerne la construction de la salle de classe, on attendra pour commencer les travaux de savoir si la voie de raccordement du chemin de fer à la fonderie coupe les bâtiments communaux.

 


[1] Il s'agit de la rue René Gillardie.

[2] Actuellement pharmacie Thurin (jusqu'à fin mai 2019) et autres constructions jusqu'à la place de la gare.

 

La gare : les bâtiments, leur implantation

 

Sur le plan qui est une reproduction partielle du plan cadastral de Ruelle, n'apparaît pas l'extrémité du faisceau de voies qui est situé sur la commune de Magnac.

Les installations de la gare comprennent deux bâtiments principaux :

  - la halle marchandise (en vert sur le plan) desservie par un faisceau de voies

  - la gare proprement dite, bâtiment destiné aux voyageurs, avec guichet, salles d'attentes, bureaux du personnel d'exploitation et à l'étage des logements (en rouge sur le plan).

 

Extrémité orientale de la gare (côté Relette) ; carte postale du milieu des années 50.
Extrémité orientale de la gare (côté Relette) ; carte postale du milieu des années 50.

 

En face de la gare-voyageurs, sur le quai desservi par les trains venant de Limoges, a été construit un abri où attendent les voyageurs à destination d'Angoulême, après que le chef de gare leur a fait traverser les voies quelques minutes avant l'arrivée du convoi. En France (sauf en Alsace-Lorraine en raison de l'annexion par l'Allemagne de 1871 à 1918) les trains roulent à gauche sur les lignes à deux voies, comme le montre la carte postale ci-dessous.

 

Un train arrivant de la direction de Limoges. Au fond et au centre, la halle marchandises ; au premier plan, le bâtiment principal et en face, l'abri voyageurs.
Un train arrivant de la direction de Limoges. Au fond et au centre, la halle marchandises ; au premier plan, le bâtiment principal et en face, l'abri voyageurs.
La gare côté cour ; photo février 2019
La gare côté cour ; photo février 2019

 

Le bâtiment destiné aux voyageurs a fière allure. Du côté de la place, anciennement cour de la gare, il donne l'impression d'une maison bourgeoise avec sa façade encadrée d'amorce de pavillon, sa toiture d'ardoises aux motifs architecturaux néo-classiques (oculi et mansardes de pierre) ; le même type d'ouvertures ornait les côtés et l'arrière du bâtiment, mais lors de la dernière réfection de la toiture dans les années 90, ces arrondis ont été supprimés et remplacés par des fenêtres rectangulaires modernes allégeant ainsi le coût de l'entretien. De même, les cheminées ont aussi disparu. Avec quelques modifications, la gare de Chasseneuil a été construite sur le même modèle ainsi que le corps central de celle de La Rochefoucauld.

 

Carte postale envoyée en 1912
Carte postale envoyée en 1912
Photo février 2019 -  Les modifications apportées à la toiture apparaissent nettement.
Photo février 2019 -  Les modifications apportées à la toiture apparaissent nettement.
Carte postale du milieu des années 1950 - Cette vue aérienne montre bien les installations ferroviaires coupées par la route de Limoges ; en grossissant la zone du passage à niveau on arrive à distinguer les barrières oscillantes levées.
Carte postale du milieu des années 1950 - Cette vue aérienne montre bien les installations ferroviaires coupées par la route de Limoges ; en grossissant la zone du passage à niveau on arrive à distinguer les barrières oscillantes levées.

Quel est le point d'arrivée de la ligne à Angoulême ?

 

Angoulême-Limoges doit être le prolongement de la ligne Rochefort-Angoulême. En 1867, celle-ci se raccorde à la ligne du PO aux Alliers. Le PO et la Compagnie des Charentes font donc gare commune à l'ancienne école de la Marine, mais c'est la gare du PO, ce qui pose rapidement de graves problèmes : le PO favorise son propre trafic et les wagons de la compagnie concurrente attendent plusieurs jours avant d'être déchargés. Aussi la Compagnie des Charentes demande-t-elle la construction d'une gare qui lui soit propre et émet le même souhait pour Limoges [1]. La demande accordée et les acquisitions faites, commence un chantier qui n'est achevé qu'au début de 1875. Ainsi, après Saint-Michel, la ligne venant de Saintes emprunte un nouveau tronçon, traverse la Nationale 10 par un passage à niveau situé quelques centaines de mètres au nord du précédent, franchit les voies du PO par un pont, se dirige vers le quartier Saint Martin, passe sous la ville par un nouveau tunnel (tunnel de la Gâtine) et dessert la nouvelle gare construite en face de celle du PO. C'est là que la ligne de Limoges se raccorde à celle de Saintes-Rochefort dès février 1875. En sortant de la gare des Charentes, la voie de Limoges passe sous la route de Limoges (actuellement carrefour de la Madeleine) et se dirige vers l'actuelle zone industrielle (à l'emplacement des constructions entre l'avenue du Maréchal Juin et la rue de la Madeleine à l'étang) puis longe la Touvre après le passage à niveau de la rue de l'Isle d'Espagnac, au Pontouvre.

 

[1] Ville où la Compagnie des Charentes vient à nouveau buter sur une ligne du PO ; demande acceptée pour Limoges en septembre 1870 et Angoulême en janvier 1871. À Limoges la gare des Charentes sera rebaptisée Limoges-Montjovis .

 

 

Que révèle la presse dans les jours qui précèdent la mise en service de la ligne ? Le 31 mars un train part d'Angoulême avec le mobilier nécessaire au fonctionnement de la ligne. Le lendemain, 1er avril, à 9 heures, un train spécialement organisé pour l'installation du personnel dans les différents postes, déraille en gare de Magnac-Touvre. Quelques wagons de mobilier sont endommagés, quelques personnes sont contusionnées, mais un adulte a une épaule déboîtée et un enfant une jambe fracturée. Les médecins de Ruelle et celui de la compagnie sont intervenus pour prodiguer des soins. La plupart des wagons ont pu repartir avec un retard de deux heures.

Selon La Charente du 15 avril 1875, la veille, à 6 heures, la commission de réception, partie de la nouvelle gare des Charentes, se met en route pour parcourir la ligne d'Angoulême à Limoges. Elle comprend 14 membres, inspecteurs généraux des Ponts et Chaussées, ingénieurs de toutes sortes et même un ancien ministre qui ont pris place dans un train spécial composé, outre la locomotive, de trois voitures : un wagon-salon, une voiture de 1ère classe, un fourgon de 3ème classe, d'après Le Charentais.

Charles Lallemand collaborateur de La Charente relate le voyage de réception. "Le temps était magnifique, et dès que le train fut sorti de la tranchée sur lequel passe le pont de la route de Ruelle, il se mit à côtoyer la Touvre. Tout le monde était aux portières de gauche pour admirer cet original et gracieux cours d'eau, tout couvert d'arbres magnifiques, semé d'innombrables îlots…

Bientôt le sifflet de la machine nous annonce que nous approchons de Ruelle. La grande rue de Ruelle est littéralement traversée à niveau par la voie nouvelle. La commission descend à la gare de Ruelle. Cette gare est toute prête ; elle est sous les armes ; elle a ses encriers ouverts, ses plumes sur la table. Il n'y a plus qu'à inscrire les bagages, et à donner les billets aux voyageurs. Ruelle fabrique des canons énormes destinés à la marine. Presque chaque jour les habitants de L'Houmeau voient passer ces molosses de fonte que plus de trente chevaux ont de la peine à traîner. Bientôt un tronçon raccordera la voie à la Fonderie et nos canons monstres prendront la voie ferrée de Ruelle à Rochefort ! Voici Ruelle passé…

La gare de Magnac a été le théâtre de l'accident que l'on sait. Naturellement, on ne s'entretient que de cela en arrivant sur le lieu où il s'est produit…

J'étais en extase devant le spectacle grandiose de ce cirque magnifique au fond duquel se dessine une masse sombre qui marque le lieu si bien nommé le Gouffre. C'est là que jaillit spontanément la Touvre, qui, comme Minerve, vient au monde tout armée, c'est-à-dire rivière dès sa source. L'antique église fortifiée, avec son ormeau séculaire, les quelques maisons du vieux village de Touvre, et les vestiges du castel des évêques d'Angoulême couronnent la colline…" La Charente, vendredi 16 avril 1875.

Puis le voyage se poursuit avec des arrêts dans les différentes gares, mais aussi à l'abord des ouvrages d'art notamment le viaduc de Saint-Junien, sans oublier la pause du déjeuner à Saint-Junien. Après avoir parcouru un tunnel de 400 mètres de long, la ligne arrive à Limoges, dans la très belle gare des Charentes et se prolonge encore d'environ 3 kilomètres pour rejoindre le point où elle se raccorde au réseau d'Orléans au moyen d'une gare d'échange. Le convoi reparti de Limoges à 3 heures de l'après-midi arrive à 6 heures 15 à Angoulême et continue pour réceptionner le nouveau tronçon jusqu'à Saint-Michel. L'ouverture au public a lieu le 26 avril.

Construite à voie unique, la ligne est doublée jusqu'à Ruelle consécutivement au raccordement de la Fonderie, et le doublement est prolongé jusqu'à l'embranchement de la ligne de Ribérac après la gare de Magnac, en 1894 [1].

La compagnie des Charentes avait souhaité construire la ligne de Limoges pour chercher des débouchés vers le Centre, mais là encore elle est bloquée par la Compagnie du Paris-Orléans qui lui impose des tarifs prohibitifs, si bien qu'elle connaît de graves difficultés financières qui l'amènent au bord de la faillite. En 1878 elle est rachetée par l'État qui va constituer une compagnie d'exploitation. Mais l'État ne se satisfait pas de la situation et a un autre poids que la Compagnie des Charentes face au PO ; il peut renégocier les tarifs imposés par le PO pour les produits qui devaient emprunter ses lignes. De plus l'imbrication des deux réseaux conduisait à une concurrence défavorable à l'État dans la mesure où celui-ci était tenu de garantir un intérêt aux actionnaires selon les conventions passées avec les six grandes compagnies [2]. Aussi en novembre 1883 dans un souci d'économie et de cohérence, il fut décidé que les lignes construites ou à construire au sud de celle de Nantes-Tours et à l'ouest de celle de Tours-Bordeaux (les deux appartenant à la Compagnie du PO) reviendront à la compagnie de l'État. Comme le PO perd la ligne de Poitiers à La Rochelle et à Rochefort, il reçoit en compensation la ligne Angoulême-Limoges et celle de Nontron [3].

La compagnie du PO doit donc prendre en charge la construction des lignes déterminées par l'État dans le secteur qui lui est dévolu, notamment le prolongement de la ligne de Nontron vers Thiviers (gare de la ligne Limoges-Périgueux) et la ligne de Magnac-Touvre à Ribérac par La Rochebeaucourt (tronçon de la ligne dite d'Angoulême à Marmande). Cette dernière est ouverte en 1894, alors qu'on en parle depuis environ 20 ans avec des tracés divers ; le conseil de Ruelle avait donné un avis favorable dès 1881.

Le raccordement de la ligne de Limoges à celle d'Angoulême-Paris n'est réalisé qu'en 1892 ; les trains du PO venant de Limoges ou de Nontron continuent d'arriver à la gare de l'État jusqu'à cette date.

Par souci d'économie, en 1934, les compagnies de l'État et du PO feront gare commune pour les voyageurs à la gare du PO, rappelant la situation existant de 1867 à 1875.

La loi du 31 août 1937 nationalise les chemins de fer, créant la SNCF chargée d'exploiter le réseau à compter du 1er janvier 1938.

 


[1] Double voie supprimée vers 1955 après la fermeture (1951) et le déclassement (1954) de la ligne de Ribérac.

[2] PLM, Est, Nord, Ouest, PO, Midi.

[3] La ligne est ouverte à la circulation le 10 août 1883.

 

Le matériel roulant

 

En ce qui concerne le matériel de traction la ligne ne connaît que des locomotives à vapeur jusqu'à la Seconde Guerre mondiale aussi bien pour les voyageurs que pour les marchandises mais ces machines présentent des caractéristiques différentes selon l'utilisation : vitesse pour les trains de voyageurs, puissance pour les convois de marchandises. Les dernières locomotives à vapeur de la ligne sont retirées de la circulation au milieu des années 60 [1]; elles ont été remplacées par des locomotives diesel.

Pour le transport des voyageurs, au temps de la vapeur, il existe des voitures de 1ère classe, de 2ème cl., de 3ème cl. (En 1956 la 3ème classe est supprimée). Avec la mise en service des autorails, le nombre de voitures est parfois limité à une seule où une partie est réservée aux voyageurs de 1ère classe. Mais dans les liaisons à grande distance comme le La Rochelle-Genève, le train est constitué de voitures des différentes classes.

Le transport des marchandises utilise des wagons de toutes sortes : wagons plats, wagons couverts, wagons à bestiaux, wagons spécialisés pour la houille, la pierre, le ballast, les canons…



[1] L'auteur se rappelle, lorsqu'il était étudiant et qu'il allait prendre à Angoulême l'omnibus de 5h42 pour Poitiers, en 1962-63, qu'il lui arrivait de se faire bloquer au passage à niveau de Ruelle (le PN 91) par l'arrivée du 1er train de marchandises en direction de Limoges tiré par une puissante locomotive à vapeur, entre 5h25 et 5h30 ; le 1er train de voyageurs, un autorail, était passé une demi-heure plus tôt.

 

le réseau de la fonderie

 

Le réseau initial selon le plan projet de 1869

 

 

La ligne de Limoges n'a pas encore connu la moindre réalisation que la Fonderie a déjà envisagé et même commencé la construction de son réseau. Celui-ci apparaît sur le plan-projet de 1869.

 

Plan-projet de 1869 - Ce qui apparaît nettement c'est que ce réseau est orthogonal, impliquant que le passage d'une voie à une autre ne peut se faire qu'au moyen d'une plaque tournante. 
Plan-projet de 1869 - Ce qui apparaît nettement c'est que ce réseau est orthogonal, impliquant que le passage d'une voie à une autre ne peut se faire qu'au moyen d'une plaque tournante. 
Deux plaques tournantes apparaissent sur cette carte postale envoyée en mai 1915, celle du premier plan à gauche est particulièrement nette.
Deux plaques tournantes apparaissent sur cette carte postale envoyée en mai 1915, celle du premier plan à gauche est particulièrement nette.

 

Deux extensions sont envisagées hors de la Fonderie :

     - l'une concerne un hypothétique raccordement perpendiculaire à la ligne de Limoges, dans le secteur de la gare (ligne bb') ; aussi l'incertitude du tracé conduit-elle le conseil municipal à différer les travaux de l'école.

     - l'autre prévoit la desserte du champ d'épreuves. Cet accès est réalisé avant que la Fonderie soit raccordée au réseau des chemins de fer. En effet en mars 1874, le conseil municipal est informé de l'établissement d'un passage à niveau concernant le chemin de grande communication n°23 du Pas de Fontaine à Chef Boutonne (devenu D 23) et la voie ferrée de la Fonderie qui doit desservir le champ d'épreuves. Cette voie suivra un tracé légèrement différent de celui du plan.

 

L'ancien champ d'épreuves ; carte envoyée en 1906. - Au second plan,  le chemin de Vaugeline au cimetière. À l'arrière-plan, devant le grand bâtiment de la forerie n°4, se dresse le pont roulant qui met en place les canons pour procéder aux essais.
L'ancien champ d'épreuves ; carte envoyée en 1906. - Au second plan, le chemin de Vaugeline au cimetière. À l'arrière-plan, devant le grand bâtiment de la forerie n°4, se dresse le pont roulant qui met en place les canons pour procéder aux essais.

 

Le raccordement à la ligne de Limoges

 

Il faut attendre 1879 pour que le raccordement à la ligne de Limoges pourtant décidé en 1877, sorte des cartons, sans doute parce que la Compagnie des Charentes était au bord de la faillite et n'est rachetée par l'État qu'en 1878.

 

En août 1879 le conseil municipal est informé de ce raccordement et des modifications qu'il entraîne d'une part sur le chemin des Seguins et d'autre part sur celui qui conduit au village du Maine Gagnaud et à l'abreuvoir. Sans s'opposer au projet, il ne voit pas la nécessité d'une déviation du chemin des Seguins alors que des aménagements viennent d'être faits pour le porter à 6m hors des zones construites. Finalement le conseil qui n'avait pas vu les dangers d'un passage à niveau en biais, donne son accord en novembre. 

 

Plan du raccordement (1879) - Ce plan dressé en 1879 indique non seulement le tracé du raccordement et la déviation du chemin des Seguins mais permet aussi de constater que le Pont neuf et la route aboutissant au Quartier neuf n'ont pas encore été réalisés (leur mise en service date de 1885).

 

En octobre 1879 est rendu un jugement d'expropriation à l'encontre de 5 personnes sur une trentaine concernée par les travaux ; le jury qui doit fixer les indemnisations se réunit en novembre 1880.

 

Le pont et la porte du chemin de fer à l'extrémité Est du raccordement ; carte envoyée en 1907 (?)
Le pont et la porte du chemin de fer à l'extrémité Est du raccordement ; carte envoyée en 1907 (?)

 

En gare de Ruelle, cet accès à la Fonderie part d'une voie réservée à l'entreprise, en deçà du passage à niveau. Sa mise en service va supprimer le roulage des canons avec les attelages de chevaux, jusqu'au port de L'Houmeau d'autant qu'elle est complétée, en 1881, par la construction de la voie de la Marine qui part de la gare d'Orléans et aboutit sur les quais de la Charente où une énorme grue charge les gabares. Cette voie de la Marine n'est plus utilisée par la Fonderie après le déclassement du tronçon de voie navigable Cognac-Angoulême en 1926.

 

Carte postale ancienne de la grue du port de L'Houmeau.
Carte postale ancienne de la grue du port de L'Houmeau.

 

L'évolution jusqu'à la guerre de 1914-18

 

Plan du réseau en 1900
Plan du réseau en 1900

 

Le développement du réseau va de pair avec l'accroissement d'activité de la Fonderie. La voie ferrée sert tant aux expéditions qu'à l'approvisionnement (notamment en charbon).

 

Le parc à charbon ; (carte envoyée en 1908 ? 1910 ?)
Le parc à charbon ; (carte envoyée en 1908 ? 1910 ?)

 

Le raccordement avec la ligne de Limoges entraîne un agrandissement de la gare à l'ouest du passage à niveau. En face du quai militaire utilisé par l'armée, les voies de la Fonderie, parallèles à celles de la ligne du PO constituent le quai d'embarquement des canons.

 

 Cette carte postale a été envoyée en 1906 - On distingue les voies de la Fonderie à droite du parc à canons (actuellement parking), vers le fond le raccordement avec la ligne de Limoges, et tout au fond le passage à niveau (PN 91)
 Cette carte postale a été envoyée en 1906 - On distingue les voies de la Fonderie à droite du parc à canons (actuellement parking), vers le fond le raccordement avec la ligne de Limoges, et tout au fond le passage à niveau (PN 91)
Au premier plan les voies Angoulême-Limoges ; au second plan, le quai d'embarquement avec une grue de la Fonderie.
Au premier plan les voies Angoulême-Limoges ; au second plan, le quai d'embarquement avec une grue de la Fonderie.
Un canon de gros calibre ; carte envoyée en 1908
Un canon de gros calibre ; carte envoyée en 1908

 

Avant la guerre de 1914-18, la Fonderie a décidé de construire un nouveau champ d'épreuves plus vaste et moins près des habitations et des voies de communication. Il recouvre en partie les terres et les bâtiments de l'ancienne métairie de la Combe-Dieu.

En juin 1911 le conseil est invité à donner un avis sur l'établissement d'un passage à niveau entre la voie ferrée desservant le nouveau polygone et le chemin vicinal n°5 (Vaugeline-le cimetière).

Les travaux sont à peine commencés que le conseil reçoit dès le début de 1912 une pétition des habitants de Vaugeline qui ressortent les vieux griefs concernant le lavoir sur la Touvre que la Fonderie a fait disparaître puis déplacer jusqu'au Pont Neuf au fur et à mesure des agrandissements de l'entreprise, qui se plaignent de l'insuffisance de l'alimentation en eau du lavoir construit par la Fonderie auprès du village d'autant que les eaux d'écoulement de saison froide qui l'alimentaient en partie se trouvent détournées par la voie ferrée construite en déblai [1]. Ils demandent que le nouveau champ de tir soit plus éloigné des habitations que l'ancien, en raison des dégâts aux maisons, de vitres brisées lors des essais de tirs, rappelant aussi que deux granges se sont écroulées. Ils affirment même qu'il n'y a pas eu d'enquête publique et que lors de l'enquête préliminaire les propriétaires de Vaugeline n'ont pas été prévenus.

La nouvelle voie quitte l'enceinte de la Fonderie par la porte nord où elle se sépare de celle de l'ancien champ d'épreuves.       

 

[1] Voir le chapitre Les lavoirs.

 

Photo mars 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carte postale ancienne - Le nouveau champ de tir : les voies sous le pont roulant qui permet de déplacer et de positionner les canons dans l'axe des chambres à sable.


 

L'entre-deux-guerres

 

Canon de gros calibre à destination du port de l'Houmeau ; à l'arrière-plan à gauche, apparaissent les bâtiments de l'extension des Seguins.
Canon de gros calibre à destination du port de l'Houmeau ; à l'arrière-plan à gauche, apparaissent les bâtiments de l'extension des Seguins.

Plan de 1922 - En plus des voies existant en 1900 (voies en rouge), ce plan montre l'extension du nouveau champ de tir, mis en service en 1913 (voies en vert) et l'implantation d'un réseau innervant l'agrandissement réalisé pendant la 1ère Guerre mondiale aux Seguins et aux Ribéreaux (voies en bleu).

Le nouveau réseau bénéficie d'un raccordement aux voies de la Fonderie, près de l'ancien embranchement, en gare de Ruelle (1917). Les Seguins et les Ribéreaux sont directement reliés grâce au pont construit par les prisonniers allemands pendant la guerre, pont connu sous les noms de Pont des Boches ou Pont des Ribéreaux. Ce réseau est relié à l'ancien, aux Seguins, sur le premier raccordement qui se trouve alors en partie dans la nouvelle enceinte, et la zone des Ribéreaux l'est par une voie qui traverse la rue du Pont neuf (au niveau de l'actuelle porte principale).

Sur ce plan, on notera :

     - en haut, à la Combe au loup, les bâtiments du "personnel complémentaire" représentant la contribution de l'empire colonial à la guerre (camp dit des Indochinois).

     - en bas, la ligne de tramway électrique qui venant d'Angoulême, suit la route de Limoges, coupe la voie ferrée au passage à niveau et se dirige ensuite vers le Champ de Mars où est situé son terminus.

     - en bas, à gauche et à droite, les deux cités ouvrières construites par la Marine (aux Seguins et à la Vesingade) pour loger les familles de réfugiés travaillant à la Fonderie. 

 

Cité des Seguins, (carte postale envoyée en 1936) - Photo prise à partir du quai d'embarquement ; au premier plan, la voie de Limoges, au second plan, le quai militaire, à l'arrière-plan, la cité.
Cité des Seguins, (carte postale envoyée en 1936) - Photo prise à partir du quai d'embarquement ; au premier plan, la voie de Limoges, au second plan, le quai militaire, à l'arrière-plan, la cité.

 

Que reste-t-il de ce réseau en 2019 ?

  

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le contexte international, l'évolution de l'armement, la rationalisation des fabrications entre les ports ont entraîné de profonds changements. Ruelle n'a plus de haut-fourneaux, les grandes forges situées dans le secteur des Seguins ont été démolies vers 1990. La seule énergie utilisée est l'électricité ; les convois de charbon ont disparu (ainsi que les grandes cheminées). Vers 2000 l'entreprise a concentré ses activités sur la partie ancienne du site, c'est-à-dire à l'est de la rue du Pont Neuf, cédant aux collectivités l'extension réalisée pendant la guerre de 1914-18. Tout le réseau repassé en bleu sur le plan de 1922 est supprimé.

 

Vestiges du 2ème raccordement. Photo février 2019
Vestiges du 2ème raccordement. Photo février 2019
Photo février 2019 - La voie du premier raccordement subsiste pour des raisons stratégiques, mais dans quel état !
Photo février 2019 - La voie du premier raccordement subsiste pour des raisons stratégiques, mais dans quel état !
L'aiguille de raccordement à la voie de la Fonderie ; à gauche en contrebas la voie de Limoges, au centre l'extrémité de la voie de la Fonderie, à droite le raccordement (photo février 2019)
L'aiguille de raccordement à la voie de la Fonderie ; à gauche en contrebas la voie de Limoges, au centre l'extrémité de la voie de la Fonderie, à droite le raccordement (photo février 2019)

 

 Seul le tronçon refait après les travaux de destruction des bâtiments et de l'enceinte du parc des Seguins (dit des Trois piliers) puis de construction d'un ensemble de logements, est en bon état.

 

Photo avril 2015

Photo mars 2018



Photo février 2019

 

 

En ce qui concerne la voie du champ d'épreuves, comme le montre son état, (terre dans le contre-rail, herbe) elle est utilisée à l'occasion de très rares tirs d'essais.  (Photos mars 2019).

 

Porte nord

 

Au-dessus du passage à niveau avec la rue E. Roux

 


quelques problèmes qui ont mobilisé le conseil municipal

 

Le chemin piétonnier longeant les voies entre la gare et le passage à niveau 91 

 

     Pour se rendre à la gare, on pouvait utiliser la nouvelle avenue dite de la gare (actuellement rue Charles Gide) ou, en venant de Relette, le chemin devenu rue des Coopératives. Quand on arrivait de Bel-air ou des Seguins, il fallait descendre jusqu'à l'avenue de la gare, aussi l'aménagement d'un passage pour piétons parallèle aux voies à partir du passage à niveau avec la 141 fut-il demandé à l'administration des chemins de fer de l'État dès mai 1880.

La demande étant restée sans suite, elle fut réitérée en mai 1885, mais cette fois auprès de la Compagnie du PO puisqu'il y avait eu échange de lignes.

Comme les autres fois rien ne se passa.

     En mai 1897, le conseil souhaite que le préfet fasse la demande au PO pour la création sur le terrain du chemin de fer d'un passage de 1m de large sur 114m de longueur, la commune proposant de déplacer la clôture à ses frais. Il rappelle que ce passage sera d'un grand avantage pour les habitants de Bel-air, du Maine Gagnaud, des Seguins et aussi de Fissac qui viennent par la passerelle établie depuis 5 ans environ.

     La demande n'ayant pas abouti, dix ans plus tard, en août 1907, le conseil sollicite à nouveau auprès du PO, la création du passage mais avec une largeur de 1,20m. Est-ce la ténacité du conseil ou l'augmentation de la largeur du chemin qui décide la Compagnie du PO à accepter la demande ? Quoi qu'il en soit, le conseil est informé en mars 1908 de l'accord de la compagnie. Une clôture en treillage de 1,50m de hauteur doit être établie du côté du chemin de fer et celle séparant les emprises de la Compagnie des propriétés riveraines sera renforcée ; la dépense est évaluée à 200f ; les travaux seront exécutés par la Compagnie d'Orléans aux frais de la commune qui lui en remboursera le montant majoré de 10% pour frais généraux ; l'entretien ultérieur sera assuré par les soins de la commune et à ses frais. Le conseil vote donc une somme de 220 francs pour faire face à la dépense. La décision ministérielle d'autoriser la cession de la bande de terrain et par conséquent d'entreprendre les travaux est prise en août de la même année. Au début de 1909 la commune reçoit la facture dont le montant s'élève à 229,75 francs.

     Il restait à enlever le poteau des Postes et Télégraphes qui se dressait au milieu du sentier ; la compagnie du PO accepte qu'il soit implanté près du grillage du côté de l'emprise des chemins de fer, mais aux frais de la commune, en mars 1913.

     Il aura fallu plus de 30 ans pour réaliser cet aménagement mineur qui pouvait rendre service à une partie de la population. Au début des années 70, la SNCF cède l'assiette du chemin à la commune.

 

Partie ancienne du chemin (février 2019).

Partie réaménagée lors de la rénovation du quartier (février 2019).


 

La desserte-voyageurs

 

Il faut considérer comme principes de base, que la desserte de Ruelle est insuffisante et que les horaires sont mal adaptés aux besoins du public.

En mars 1894, constatant que la desserte est insuffisante en direction d'Angoulême, le conseil demande que le train le plus rapproché de midi de la compagnie concessionnaire de la ligne de Marmande fasse un arrêt à Ruelle ; la ligne n'est pas encore ouverte mais il vaut mieux prendre les devants (elle ouvre le 8 juillet 1894) [1].

En août 1895, c'est une demande analogue mais à un autre moment de la journée ; on souhaite que le train partant de Ruelle à 6h36 du matin soit avancé de manière que les voyageurs, à Angoulême puissent prendre le train pour Bordeaux. Par lettre du 8 novembre 1895, le directeur de la compagnie d'Orléans, informe qu'il cherchera les moyens de donner satisfaction lors de l'étude du prochain service d'été [2].

En août 1904, on demande à la Compagnie de rajouter une voiture-voyageurs au train de marchandises partant à 6h30 pour que les élèves puissent entrer en cours à 8h à Angoulême et en conséquence bénéficient de l'externat.

 

En 1911, une solution analogue est proposée pour résoudre les difficultés de correspondance à Angoulême qu'ont les voyageurs de la ligne de Ribérac. Le matin pour aller à Ribérac, il faut attendre un train jusqu'à 2h05 l'après-midi (il n'y a pas d'autre train après le départ de celui du matin) et pour les correspondances du soir, il faut arriver de Ribérac à 2h21 l'après-midi.  Aussi le conseil suggère-t-il d'ajouter 1 ou 2 voitures voyageurs au train de marchandises partant d'Angoulême vers 10h du matin, et ainsi qu'à celui venant de Ribérac qui arrive à Angoulême avant 6h du soir.

En 1911 les usagers de la ligne de Limoges sont mécontents. Le maire de La Rochefoucauld se plaint des retards constants des trains de voyageurs et demande le doublement de la voie ; il n'y a plus de train de voyageurs après 6h du soir. Le conseil pense qu'un train de nuit serait utile et en conséquence demande qu'un train parte d'Angoulême après 9h du soir. Le PO répond qu'un service de nuit existe depuis le 12 juillet 1910 et que le train 1718 circule tous les jours entre Saillat et La Rochefoucauld ; il estime que ces mesures sont suffisantes pour assurer convenablement le service sur la ligne et qu'un doublement de la voie est inutile.

Toujours en 1911, le conseil a reçu une copie d'une lettre du Syndicat des Travailleurs réunis de la Fonderie au ministre de la Marine afin d'obtenir des billets à prix réduits pour aller au bord de la mer pendant la saison balnéaire ; il justifie sa demande en affirmant que ceci leur serait salutaire, car ils sont "obligés de rester dans les bas-fonds malsains de la région" ; ils pourraient profiter d'un air salubre et réconfortant, et le Genève-Océan passe presque à vide.

 

À propos du Genève-Océan, en juin 1913, le député charentais Géo Gérald fait part aux élus locaux de ses interventions auprès des compagnies de chemin de fer et les informe que la demande d'amélioration des relations Genève-Lyon-Océan par Limoges-Angoulême-Cognac-La Rochelle n'a pas été prise en considération. Il joint à son courrier deux lettres d'avril 1913. L'une du Chemin de fer de l'État indique que l'utilisation de la liaison directe de nuit Bordeaux-Lyon nécessite la mise en service de nouveaux trains de nuit entre La Rochelle et Angoulême, ce que ne justifie pas le trafic de la ligne Saintes-Angoulême. L'autre, du PO, va dans le même sens : en raison des correspondances aux différents points de la ligne Angoulême-Limoges, la prise en compte du souhait de la correspondance à Limoges avec le train permanent Bordeaux-Lyon de nuit, nécessiterait la création de nouveaux trains ; en service d'été existent déjà des trains de jour dits "trans-express" entre La Rochelle et Genève et le reste de l'année le mouvement des voyageurs est très réduit et le nombre de trains circulant entre Angoulême et Limoges est "largement en rapport avec l'importance du trafic"; d'ailleurs à partir de La Rochelle existe un train direct de nuit pour Lyon via Tours. Cette dernière remarque déclenche la colère du député qui demande au Conseil Général de protester contre la tendance des compagnies de chemin de fer à orienter le trafic Genève-Lyon-Océan par Tours au détriment de Limoges-Angoulême-Rochefort.

 

En 1928, le conseil municipal demande que les trains express s'arrêtent à Ruelle ; il justifie sa requête par la présence de 150 ouvriers mutés à Ruelle consécutivement à la suppression de l'arsenal de Rochefort. Une nouvelle fois, la réponse est un refus que le PO justifie avec des arguments précis : ces trains sont affectés à des relations à grande distance (La Rochelle-Centre-région lyonnaise-Suisse); la gare de Ruelle est déjà favorisée par rapport aux autres gares de la ligne Angoulême-Limoges, ainsi que par les trains de Nontron et de Ribérac; sur les 100 ouvriers transférés de Rochefort à Ruelle 71 chefs de famille et 25 célibataires sont déjà installés à Ruelle, donc l'arrêt des trains concernerait peu de monde. Mais le conseil réitère sa demande car aucun train venant d'Angoulême ne s'arrête entre 18h et 5h, donc aucune desserte pendant 11 heures : ceux qui arrivent de Bordeaux, La Rochelle, Poitiers ne peuvent rejoindre leur domicile. À la fin de l'année, le PO rappelle que l'arrêt des trains express à Ruelle ne se justifie pas en raison de la proximité d'Angoulême et vient à l'encontre du désir des collectivités qui demandent l'accélération des liaisons.

Mais le conseil continue à faire preuve de ténacité. En juillet 1932, il demande l'arrêt d'un train en gare de Ruelle (si ce n'est sa création) à 5h20 du matin et le soir à 22h50 pour pouvoir passer la journée au bord de la mer ou aller à Bordeaux (demande restée sans suite). En septembre 1935, c'est un arrêt du train Thiviers-Angoulême à 14h20 et d'Angoulême-Thiviers à 17h55 qui est sollicité (mais que le PO refuse expressément) ; en juillet 1937, c'est l'arrêt de tous les trains omnibus (ce qui était déjà le cas pour ceux de la ligne de Limoges).

 

En 1938, le service des voyageurs est supprimé sur la ligne Angoulême-Ribérac, et en juin 1940 sur celle de Nontron. Pendant la guerre, ces lignes coupées par la ligne de démarcation sont rouvertes après l'occupation de la zone libre, mais le nombre de trains est réduit, ainsi que sur celle de Limoges.

Dans les 3 années qui suivent la guerre ces lignes sont à nouveau fermées, mais ce répit a laissé le temps au conseil municipal, en mars 1945, de demander que certains trains Angoulême-Ribérac ou Ribérac-Angoulême s'arrêtent à Ruelle. Cependant la ligne de Ribérac à nouveau fermée aux voyageurs, l'est aussi au trafic marchandises en 1951 et déclassée en 1954. Celle de Nontron subit le même sort ; elle est déclassée en deux fois : en 1976, pour la partie Marthon-Nontron et en 1992 pour le tronçon du Quéroy à Marthon, après la fermeture de l'usine de fabrication de traverses de chemin de fer située à Marthon.

Même le conseil municipal nommé à l'époque du gouvernement de Vichy avait demandé à la SNCF de créer un service d'autorail, en février 1944, en raison de la pénurie de transport en commun de Ruelle à Angoulême.

 

Depuis la Seconde Guerre mondiale le trafic n'a cessé de diminuer. Si au début des années 1970, le nombre de trains journaliers approchait de la vingtaine, moitié voyageurs, moitié marchandises, au milieu de la première décennie du 21ème, il circulait encore jusqu'à 9 trains de voyageurs par jour grâce à la gestion des TER par les régions, mais pour les marchandises c'était un train par semaine, en moyenne.

            Déjà en mai 1990, le conseil avait jugé utile de voter pour le maintien de la ligne Angoulême- Limoges. On était loin de l'attitude de juillet 1931 où le conseil, sans hésitation, déclarait que "considérant que l'utilité des chemins de fer départementaux n'est plus en rapport avec le déficit élevé d'exploitation, le conseil émet le vœu qu'ils soient supprimés" et donnait le même avis pour les chemins de fer économiques. La décision était sans doute plus facile à prendre, dans la mesure où aucune ligne de ce type ne traversait la commune.

 

[1] La ligne de tramway électrique Angoulême-Ruelle n'est mise en service qu'en décembre 1900.

[2] Il ne faut pas faire de rapprochement avec les horaires de TGV.

 

 Le passage à niveau de la route de Limoges (PN 91)

 

          Carte postale envoyée en 1924, (le nom de la rue n'a été donné qu'en 1919). Au sol on distingue les rails du tramway et au-dessus, en l'air, ses deux fils parallèles d'alimentation électrique ; à droite le coin de la maisonnette de la garde barrière avec son petit abri annexe. Un zoom sur la partie basse de la barrière, à droite, permet de distinguer une des roues servant à la faire coulisser.

 

Le passage à niveau est le principal sujet de mécontentement des Ruellois et en conséquence une question récurrente dans les réunions du conseil municipal.

En septembre 1894, le conseil aborde plusieurs points concernant le PN 91 : le temps de fermeture des barrières, la dangerosité, les solutions à mettre en œuvre.

Il constate que les trains sont plus nombreux depuis l'ouverture de la ligne de Ribérac (8 juillet 1894), leur nombre atteignant environ 29 par jour. À raison d'une fermeture des barrières d'environ 10 mn par train, la circulation est interrompue cinq heures quotidiennement, et les manœuvres des trains de marchandises peuvent rallonger la durée.

Il signale que les piétons traversant dans le sens Ruelle-Angoulême doivent s'engager sur la voie pour voir arriver le train à cause des maisons bordant la ligne sur la droite ; deux accidents ont eu lieu depuis un mois, le 1er provoquant la mort d'une personne, le 2ème des blessures graves.

Il demande la construction d'une passerelle pour les piétons et d'une route par le chemin vicinal n°1 (celui des Seguins) et de rejoindre la RN 141 par le passage à niveau des Seguins (PN 92) où il n'y pas de manœuvres.

La déviation suggérée ne semble pas très réaliste dans la mesure où il faut faire un grand détour à partir du passage à niveau incriminé et traverser le hameau des Seguins aux rues étroites.

Un an plus tard, en novembre 1895, une pétition signée de 400 habitants réclame la construction d'une passerelle au-dessus du passage à niveau, car la circulation y est considérablement gênée par de nombreuses manœuvres. Le conseil transmet la demande au préfet et au Conseil Général en rappelant qu'il avait déjà signalé l'inconvénient et que la Compagnie du PO avait répondu que la fermeture n'avait lieu que pendant le temps prescrit. Mais avec l'augmentation du nombre de trains, la situation s'est aggravée.

 

Comme rien ne s'est passé, en novembre 1900, le conseil délibère à nouveau à propos du passage à niveau dont il demande la suppression et son remplacement par une déviation passant sous la route à la Grande Vallée. En attendant la réalisation, il souhaite que les manœuvres soient supprimées et que le préfet, après avoir pris l'avis des administrations militaires en raison du passage des troupes pour la Braconne et le champ de tir de l'artillerie, l'avis de la Fonderie et celui des Ponts et chaussées, les transmette à la Compagnie d'Orléans.

Un an plus tard, le préfet reçoit à nouveau le couplet sur la fermeture des barrières qui dure parfois 25 mn au lieu du maximum de 15 mn prévu au règlement.

Au début de 1902, après une étude sans doute approfondie si la notification a été transmise rapidement, une lettre du directeur de la Compagnie du PO, répond à la demande de novembre 1900 ; la suppression du passage à niveau entraînerait à la fois une modification de la ligne sur 1735m, le déplacement de la station, la construction de deux chemins d'accès pour une dépense de 900.000f, sans le supprimer complètement en raison de l'embranchement de la Fonderie. Il souligne que la fermeture du passage à niveau pour les 36 trains journaliers se monte à 3h40mn réparties sur 36 intervalles (y compris les quatre trains qui manœuvrent à Ruelle pendant 15mn), et rappelle que les conditions de sécurité ont été aggravées par l'établissement de la ligne de tramways ; en conséquence les vœux du conseil ne peuvent être accueillis favorablement.

La réponse du PO ne satisfait pas le conseil qui invite le maire à faire observer les règlements relatifs à la durée de la fermeture des barrières (5mn et non 30mn) ; il mentionne que la circulation du tramway à travers le passage à niveau [1] ne soulève aucune réclamation du public et est étrangère aux causes qui entraînent la prolongation de la fermeture des barrières qui, elle, provoque les réclamations.

Et la polémique continue au cours de l'année 1902, le directeur du PO s'appuyant sur un arrêté du préfet qui limite l'interruption de la circulation à 15mn et le conseil affirmant que "la barrière reste fermée des demi-heures comme cela arrive journellement" et même jusqu'à 40mn comme cela s'est produit deux lundis consécutifs au mois d'août. On en vient à utiliser n'importe quel argument sans rapport avec la question, pour disqualifier l'adversaire : le train rapide Limoges-Royan ne serait pas signalé aux stations !

 

Après un moment d'accalmie, le sujet refait surface de façon récurrente. En 1905, le conseil demande que les barrières soient ouvertes une fois pendant le temps des manœuvres pour laisser passer le flot des voitures ; en 1908 il suggère que les manœuvres aient lieu du côté de Relette. Mais la Compagnie d'Orléans répond négativement pour des raisons de sécurité en ce qui concerne la réouverture des barrières et parce que l'embranchement de la Fonderie est situé à l'opposé de Relette.

En août 1909, pour montrer ses bonnes dispositions, la compagnie de chemin de fer propose, comme solution à la fermeture fréquente et prolongée du passage à niveau, de remplacer les barrières roulantes par des barrières à bascule actionnées par un treuil, plus faciles à manœuvrer. Le coût s'élèverait à 1300f, montant auquel il faudrait ajouter le prix des modifications liées à la présence des fils électriques du tramway. Évidemment la commune devrait assumer la dépense. Le conseil juge l'amélioration insuffisante, sans intérêt, pour une dépense énorme et prie le PO de faire réparer les barrières et d'affecter un personnel suffisant pour les manœuvrer.

En octobre 1911, le conseil est informé par la Compagnie de la création récente à ce passage à niveau, d'un poste de garde-barrières homme, en faction permanente.

           Pendant la guerre de 1914-18, le nombre de trains diminue et la durée de fermeture des barrières passe au second plan. En février 1915 est apparu un autre problème ; le croisement des voies avec celles du tramway est devenu défectueux ce qui conduit à interrompre la ligne du tramway au-dessus du passage à niveau. On affirme que la Compagnie d'Orléans et celle des tramways vont le refaire dans un "bref délai". En fait, pour divers motifs dont la pénurie de métaux, il faut attendre août 1918 pour que le croisement soit refait et que le tramway desserve à nouveau le Champ de Mars [2].

 

[1] Des mauvaises langues affirmaient que le PO considérait le tramway comme un concurrent et le bloquait en fermant les barrières plus longtemps.

[2] Tronçon dont la desserte est définitivement supprimée à compter du 1er janvier 1922, le tramway ne franchissant plus le passage à niveau.

 

Carte postale envoyée en 1923 ; on distingue bien les rails du tramway coupant ceux des voies du PO, le rail de la barrière coulissante juste derrière les pieds de la personne se tenant au bout de la barrière. À droite, le grand poteau du chemin de fer avec sa série de godets supportant les fils électriques ou de communication téléphonique ; au centre, en haut, les deux fils du tramway et au niveau des arbres, deux poteaux supports de ces fils ; à gauche, la base d'un grand poteau métallique d'alimentation électrique urbaine (d'une hauteur d'environ 10m) et les façades des commerces qui "masquent l'arrivée des trains venant d'Angoulême aux piétons allant vers Bel-Air".

 

En ce qui concerne la suppression du passage à niveau, la question refait surface en novembre 1929. La réponse du ministère des Travaux Publics arrive en septembre 1930. La dépense s'élèverait à 5.300.000f ; le P.O. accordera une participation de 1.200.000f (sur la base du double des économies de gardiennage capitalisées), le reste sera à la charge de la commune. Sans doute refroidi par l'importance de la somme, mais prétextant qu'il n'y a ni plan ni détails, le conseil pense qu'il faut attendre des précisions pour prendre une décision.

À l'occasion d'un projet d'urbanisme, en février 1944, on demande à nouveau la suppression du passage à niveau et son remplacement par un tunnel sous Bel-Air ou une passerelle surélevant la route.

 

En 1924, à la suite d'un accident, surgit un nouveau sujet de frictions, il s'agit de l'éclairage du passage à niveau. En février et juin le conseil demande au PO de l'améliorer, ce que la Compagnie promet de faire. En 1937, le conseil met le PO-Midi [1]  en demeure de faire fonctionner des projecteurs au passage à niveau, mais en mai 1938, le directeur de la SNCF [2] estime que la commune devrait supporter l'entretien des projecteurs. Évidemment le conseil refuse.

En juillet 1966, le conseil demande la pose de feux rouges aux barrières ; la SNCF répond qu'elle a commencé à prendre des dispositions qu'elle complétera ultérieurement, et suggère à la municipalité des mesures de signalisation routière et d'éclairage urbain. La suggestion irrite le conseil qui a l'impression qu'on empiète sur ses prérogatives. Enfin, après quelques mois d'inertie, en février 1967, la SNCF décide d'installer des feux rouges aux barrières.

Pour clore le feuilleton du passage à niveau, il faut signaler que la SNCF a décidé en juillet 1979 de supprimer le gardiennage du PN 91 et par conséquent de remplacer les barrières oscillantes [3] par des barrières automatiques ; la même opération a été réalisée pour le passage à niveau des Seguins en 1971. Il en est résulté une légère amélioration dans la diminution du temps de fermeture des barrières.

Dans les années qui suivent, on en profite pour améliorer les conditions de circulation en supprimant la maisonnette du garde barrière et en reculant la façade de l'ancien Café de la barrière.

            Puis, les Ruellois se sont fait une raison même s'ils ont continué à pester contre les barrières et choisi leur itinéraire en fonction des horaires, en essayant d'éviter le créneau de 18h40-18h55 où se croisaient les trains en gare de Ruelle. Mais le problème pourrait avoir été définitivement résolu…

 

[1] À partir de juillet 1933 les Compagnies du PO et du MIDI mettent en commun leurs moyens pour exploiter leurs réseaux, mais continuent de constituer deux sociétés.

[2] La loi du 31 août 1937 nationalise les chemins de fer avec création de la SNCF à compter du 1er janvier 1938.

[3] Après la guerre, la SNCF avait remplacé par des barrières oscillantes manœuvrées à l'aide d'un treuil actionné par une manivelle, les barrières coulissantes du PN 91 et les barrières pivotantes du PN 92 aux Seguins.

 

Les transformations du quartier de la gare

 

On accédait à la cour de la gare par l'avenue de la Gare, par la rue qui rejoignait la route de Magnac devenue rue des Coopératives [1] et à partir de 1909, par le sentier venant du PN 91. Au milieu des années 1950, la SNCF a cédé la cour de la gare à la commune qui en a fait une place.

Aux temps glorieux des chemins de fer, le quartier de la gare était animé. Non seulement de nombreux voyageurs empruntaient les trains, mais le trafic des marchandises, sans compter ce qui relevait de l'approvisionnement ou des fabrications de la Fonderie, générait une importante activité. La halle était prolongée par un quai à bestiaux ; on chargeait des céréales et avant que le vignoble soit dévasté par le phylloxéra, on expédiait du vin produit localement, notamment à Champniers. Il fallait approvisionner la population en combustibles (bois, charbon), en produits alimentaires, du moins ceux qu'on ne trouvait pas dans les jardins. 

 

[1] Ce chemin et l'alignement de celui du Pont de Ruelle à Soyaux avaient été utilisés comme objet de chantage par le maire de Magnac lors de la construction de la passerelle de Relette. Il a été élargi en 1908.

 

 

            Dans ce secteur, notamment dans l'avenue de la Gare, après la vente de l'école de garçons (1887) s'étaient installées des coopératives : La Solidarité, l'Épicerie coopérative, La Vinicole…

 

L'avenue de la Gare (une partie des bâtiments a brûlé en 1942)
L'avenue de la Gare (une partie des bâtiments a brûlé en 1942)

 

À la fin du 20ème siècle, avec le développement de nouvelles formes de distribution, le mouvement coopératif a connu de graves difficultés, le fait le plus marquant étant la fermeture de la supérette Coop (fin 1992). 

 

Aussi dans les années 90 et début 2000, la municipalité qui souhaite réhabiliter le quartier se lance-t-elle dans une politique d'achats de terrains et d'immeubles : le quai aux bestiaux, la halle, les voies SNCF du côté de la supérette, les bâtiments de la coop… et le 70 avenue Jean Jaurès (Éveil Social, en 2002).

 

Entrée de la Maison du Peuple, de l'Éveil Social ; carte postale des années 50
Entrée de la Maison du Peuple, de l'Éveil Social ; carte postale des années 50

 

Dans un premier temps sont démolies la halle et la supérette. Le terrain est vendu à un promoteur qui construit la "résidence du Prieuré". Le choix du nom n'obéit qu'à des considérations commerciales. Est-il besoin de préciser que le prieuré était au bourg ? Mais la dénomination offrait un attrait bien plus séduisant (calme, sérénité) qu'une "résidence de la gare", aux connotations négatives.

 

Puis, selon le même principe, des logements et des locaux commerciaux sont construits sur le secteur de l'Éveil Social.

 

Photo mars 2019
Photo mars 2019

 

En avril 2019, des travaux ont commencé pour supprimer des bâtiments vétustes (ancien bureau de tabac, ancienne bijouterie) qui n'avaient pu être inclus dans l'opération précédente.

En annexe à un secteur de la gare élargi, on pourrait ajouter l'opération en cours sur l'emplacement de l'ancien Parc des Trois Piliers.

 

Photo prise de la rue du Pont Neuf (mars 2019)
Photo prise de la rue du Pont Neuf (mars 2019)

 

           Quant à la gare proprement dite qui surveille une ligne désertée depuis mars 2018, la SNCF a justifié les travaux de peinture extérieure par une programmation remontant à une dizaine d'années et par une plus-value en cas de vente. Voilà une indication révélatrice pour l'avenir.

 

La gare abandonnée aux herbes (photo février 2019)
La gare abandonnée aux herbes (photo février 2019)

 

Mais consolons-nous en constatant que la sécurité reste assurée puisque des plaisantins ont déclenché la fermeture du PN 92, aux Seguins, bloquant la circulation pendant plus d'une demi-heure, le samedi 27 avril 2019 ! (La Charente libre du 30 avril 2019).

 

Conclusion

 

Depuis mars 2018 aucun train ne circule entre Angoulême et Saillat. Il serait vain de chercher un responsable, alors que la situation résulte d'un faisceau de causes. La baisse du trafic marchandises est liée à une désindustrialisation de la région, à la concurrence de la route qui offre une plus grande souplesse et qui est moins soumise aux aléas sociaux. Des entreprises du secteur industriel alors qu'elles possèdent un embranchement, ont cessé d'utiliser le chemin de fer, au bénéfice des poids lourds.

Notre société prône la vitesse ; or les lignes comme celle de Limoges ne s'y prêtent pas : il faut autant de temps pour aller à Limoges que pour se rendre à Paris, et encore faut-il que les horaires correspondent aux besoins du public. En conséquence les voyageurs prennent la voiture ce qui va dans le sens du développement de l'individualisme et on en vient à constater que la ligne n'est pas rentable car tout doit être soumis à une logique comptable.

La politique des instances ferroviaires nationales soucieuses du développement des grandes lignes, a conduit à négliger l'entretien des lignes les moins rentables qui en conséquence ne peuvent plus supporter les lourds convois de marchandises, et où la vitesse doit être limitée pour des raisons de sécurité, l'étape suivante étant la fermeture.

            Peut-on rêver à la revitalisation des installations existantes par des activités nouvelles ? L'échec de l'expérience avec l'entreprise Moncassin qui, au début des années 90, stockait sur le quai militaire, des véhicules neufs livrés par la SNCF en vue d'une distribution régionale par la route, rappelle qu'il y a rarement coïncidence entre l'intérêt particulier des riverains et l'intérêt général.

 

Au 1er plan la voie de Limoges ; au second plan, le quai militaire et devant, émergeant des herbes, à moitié cachée par un buisson, la voie qui le dessert. (Photo mars 2019)
Au 1er plan la voie de Limoges ; au second plan, le quai militaire et devant, émergeant des herbes, à moitié cachée par un buisson, la voie qui le dessert. (Photo mars 2019)

 

On pourrait évoquer les notions de service public, de desserte du monde rural, de lutte contre le réchauffement climatique, voire de ferroutage (un serpent de mer en France alors que d'autres pays, comme la Suisse, ont su le développer).

En mars 2019 les dernières estimations pour rouvrir la ligne atteignent 120 millions d'euros (La Charente Libre, 20 mars 2019), mais qui va financer ? la SNCF ? L'État ? la Région ? Autre question, non subsidiaire, y a-t-il une réelle volonté de l'ensemble des élus pour la rouvrir ?

 

Si la ligne reste fermée, on verra couler de nombreuses larmes, de crocodiles.

 

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

 

Sources

Témoignages oraux (Jean-Pierre Chagnaud)

La Charente Libre : divers articles en 2018 et début 2019

 

Archives départementales :

- série 2 OPROV 291.

- journaux :

La Charente : mardi 30 mars, mercredi 31mars, jeudi 1er avril 1875 ; jeudi 15 avril ; vendredi 16 avril ; samedi 17 avril ; lundi 19 avril 1875.

Le Charentais : lundi 29, mardi 30 mars 1875 ; mercredi 31 mars 1875 ; jeudi 1er avril 1875 ; jeudi 15 avril ; vendredi 16 avril 1875.

 

Archives municipales de Ruelle :

- registres des délibérations du conseil municipal ;

- cadastre de 1824 ;

- cadastre de 1968 (mise à jour 1982).

 

Bibliographie

 

Dominique Audet-Perrier, Les premiers pas du chemin de fer en Charentes, mythes et réalité 1836-1883 ; Le Croît vif 1997.

Henry Le Diraison et Yvette Renaud, Chemins de fer de Charente, au temps de la vapeur ; Centre Départemental de Documentation Pédagogique de la Charente 1996.

Henry Le Diraison et Yvette Renaud, Voyages en Charente au temps de la vapeur ; CDDP de la Charente 2006 (nouvelle édition du précédent, augmentée).

Bernard Bentz et Yvette Renaud, Les rues d'Angoulême, du passé au présent ; Composervices éditions 2005.

André Nogues, La Fonderie de Ruelle ; Université Populaire de Ruelle 1988.

Henry Le Diraison et Christian Genet, Les cinq gares d'Angoulême ; Nos deux-Charentes en cartes postales anciennes, n°33.

 

Illustrations

Documents d'archives ou tirés d'ouvrages cités ;

Cartes postales anciennes (collection personnelle) ;

Photos personnelles (A et M Herbreteau).